Équiper votre enfant pour résister à la pornographie
Par Catherine Wilson
Cet article est le second dans la même série. Le premier article, Comment aborder le sujet de la pornographie avec vos enfants, est disponible ici.
Est-ce vrai qu’un enfant pré-pubère peut devenir accro à la pornographie ? Malheureusement, la réponse est oui. Cependant, nous avons bien du mal à comprendre comment cela soit possible, surtout quand il s’agit de nos propres enfants.
Quand un enfant tombe accidentellement sur une image pornographique en ligne pour la première fois, il est généralement choqué et fortement dérangé par ce qu’il voit. Cela est plus que compréhensible. C’est ce qui se passe ensuite qui laisse le parents abasourdis.
De nombreux enfants, même s’ils ont été dégoûtés ou traumatisés par les images pornographiques qu’ils ont vues, ressentent l’envie irrépressible d’en rechercher d’autres.
Pourquoi ? Nous n’avons pas de mal à imaginer en quoi un adolescent pourrait être tenté par ces images. Cependant, comment la pornographie en ligne peut-elle exercer le moindre attrait sur un enfant qui n’a même pas encore atteint la puberté, ni fait l’expérience de l’attirance ou des pulsions sexuelles ?
Les raisons sont d’abord biologiques et développementales et n’ont rien à voir avec la moralité de l’enfant en question. Paradoxalement, le porno peut avoir une influence profonde précisément parce qu’il exploite des pulsions parfaitement saines et normales chez un enfant à un moment de son développement où il est particulièrement vulnérable.
En résumé, un enfant retournera vers des images pornographiques à cause de :
- Sa curiosité : les enfants sont naturellement curieux et cherchent à en savoir plus sur ce qu’ils ne comprennent pas. Découvrir tout à coup l’existence de la pornographie va déclencher une curiosité nouvelle à ce sujet. Tous les enfants n’auront pas instinctivement la sensation que regarder des images pornos est mal.
- Ses pulsions sexuelles normales : être exposé à la pornographie, même très brièvement, peu éveiller prématurément la sexualité d’un enfant. Ayant ressenti l’excitation physique provoquée par les images, il va chercher à revivre cette expérience, même sans la comprendre.
Pour les enfants, tout comme pour les adolescents qui sont exposés à la pornographie, il devient rapidement difficile d’y résister pour trois raisons principales :
- Une expérience sexuelle apportée par le porno déclenche un niveau exceptionnellement élevé de neurotransmetteurs du désir dans le cerveau
La dopamine, principal neurotransmetteur impliqué ici, est normalement libérée dans le corps lors d’une relation sexuelle. La dopamine est un vecteur important du désir sexuel. Elle motive aussi des comportements de survie de base tels que s’alimenter, s’hydrater ou se mettre à l’abri du froid. Cependant, le porno intensifie de manière anormale le désir sexuel en déclenchant un tsunami de dopamine qui agit sur le « centre des récompenses » du cerveau (le nucleus accumbens). Le porno donne l’impression que notre désir de revoir du porno est impératif et non pas optionnel.
- Les enfants et les adolescents ont un cortex préfrontal immature. Il s’agit de leur « centre du raisonnement » qui a pour mission de contrôler leurs impulsions et leurs désirs
Le centre du raisonnement, qui permet non seulement de raisonner, mais aussi de prendre des décisions et d’évaluer les conséquences de nos actions, n’est pas complètement fonctionnel avant environ l’âge de 20 ans. En revanche, le centre des émotions, là où émergent les désirs, les impulsions et la libido, fonctionne très bien chez l’enfant. Cela signifie que, pour eux, leur pulsion « fais-le parce que ça fait du bien » est bien plus forte que leur capacité à se dire « je devrais prendre le temps de voir si cela est réellement une bonne idée ». (Et rappelez-vous que quand il s’agit de pornographie, la pulsion est puissamment renforcée par l’afflux de dopamine.)
- Les ados découvrent très vite que le fait de se masturber sur des images pornographiques leur procure une échappatoire temporaire mais efficace face au stress, à l’ennui ou à la souffrance émotionnelle
Seuls, si personne ne les avertit, les ados ne peuvent pas reconnaitre les dangers de s’appuyer sur un schéma comportemental aussi malsain et les risques de développer une addiction à la pornographie (qui peut s’installer en seulement quelques semaines).
Par ailleurs, les enfants et les ados, comme les adultes d’ailleurs, doivent combattre la puissance de leur mémoire. Un enfant peut réagir rapidement et détourner le regard de l’écran par dégout, éteindre l’ordinateur ou le téléphone, mais ces images se sont imprimées dans sa mémoire et vont continuer à lui revenir sans cesse. Et les images pornographiques ont un fort pouvoir d’impression.
Libérer les enfants du souvenir de ces images
Kristen Jenson, fondatrice du site Web Protect Young Minds [Protéger les jeunes cerveaux] (en anglais), cherche par tous les moyens à éduquer les parents sur la manière de protéger leurs enfants du porno. « Dès que votre enfant commence à avoir accès à internet, vous devez commencer à les prévenir contre les dangers de la pornographie, explique Jensen. Les enfants ont le droit d’être avertis et d’acquérir les armes qui leur permettront de bien réagir¹. » Jenson insiste sur l’importance de mettre des filtres sur vos appareils connectés à internet.
Les filtres les plus efficaces restent néanmoins ceux qui sont internalisés par l’enfant. Il faut donc enseigner aux enfants à claquer la porte au nez du porno par eux-mêmes, non seulement quand ils sont en ligne, mais aussi quand ces images réapparaissent dans leurs pensées.
C’est dans ce but que Jenson, aidée de Gail Poyner, a écrit le livre Good Pictures, Bad Pictures [Bonnes images, mauvaises images], un livre illustré que les parents peuvent lire avec leurs enfants âgés de 7 à 11 ans (le livre existe également en version pour les 3-6 ans : Good Pictures, Bad Pictures Jr. )
Ce livre enseigne aux enfants à réagir immédiatement lorsqu’ils tombent sur des images pornographiques. Il explique aux enfants qu’il y a différentes parties de leur cerveau qui réagiront différemment à de telles images :
- Le cerveau-sensation (celui de réflexes) inclut le circuit de récompense et joue un rôle important dans les addictions
- Le cerveau-réflexion, plutôt situé dans le cortex préfrontal (qui est encore sous-développé chez les enfants et les ados) gère les décisions rationnelles, la prise en compte des conséquences, etc.
Le livre propose cinq étapes simples pour réagir face à une image pornographique, à commencer par fermer les yeux, détourner la tête et éteindre l’ordinateur. Voici la description détaillée des cinq étapes :
- Ferme les yeux
- Parles-en à un adulte de confiance
- Mets un nom sur ce que tu as vu (« C’est de la pornographie ! »)
- Pense à autre chose (quand l’image te revient à l’esprit)
- Ordonne à ton cerveau-réflexion de prendre les rênes pour ne pas te faire piéger par l’envie d’en voir plus.
Les parents ont réellement la possibilité d’aider leurs enfants à se protéger de la pornographie en leur enseignant à détourner leurs pensées : « Nous ne pouvons pas effacer de leur esprit les images qu’ils ont vues mais nous pouvons les aider à en minimiser l’impact », explique Jenson.
« Vous ne pouvez pas vous contenter de dire « N’y pense plus. » Il faut diriger leurs pensées vers autre chose. Quand ils viennent vous voir pour vous dire qu’ils ont vu des images dérangeantes, il faut les féliciter de vous en avoir parlé. Le plus souvent, ils sont contrariés. Il faut donc leur permettre de vivre et d’exprimer ce qu’ils ressentent. Ensuite, il faut les aider à changer de cap. Vous pouvez par exemple leur demander : « Par quelle pensée agréable ou amusante peux-tu remplacer cette image dans ta tête ? »
L’un des meilleurs outils de distraction, selon Jenson, est d’encourager l’enfant à revivre intérieurement une expérience passée très forte et positive pour lui, comme un tour de manège inoubliable ou la pratique de leur sport favori. Amènez-les à utiliser leur imagination pour vous relater tous les détails de l’expérience qu’ils ont choisie de revivre. « Ça peut aussi être une chanson ou un film, mais il faut que ce soit quelque chose d’exaltant pour eux. »
« Répétez en moyenne dix fois pour être complètement efficace. Je n’ai pas fait d’étude détaillée sur le sujet, mais il est important d’enseigner à votre enfant à faire cette démarche encore et encore. Ce qu’il se passe en réalité, c’est que vous développez dans son cerveau un chemin neutre pour s’éloigner de l’image pornographique », explique Jenson.
Reconnaitre les états émotionnels qui amènent la tentation
La méthode distractive de Jenson est valable aussi pour les enfants plus âgés, qui sont capables d’acquérir des outils encore plus précis.
Gail Poyner, co-auteure du livre Good Pictures, Bad Pictures, a quelques conseils à donner aux parents en tant que psychologue spécialiste de l’addiction à la pornographie. Elle les encourage à aider leurs adolescents à renforcer leur capacité à prendre des décisions rationnelles et réfléchies pour mieux résister à l’attrait de la pornographie. Elle insiste sur un point important pour comprendre les difficultés des enfants face au porno : le plus souvent, ce sont des besoins émotionnels, plus que des pulsions sexuelles, qui poussent un enfant à rechercher des images pornographiques.
« Nombreux sont les adultes qui se sentent attirés par la pornographie lorsqu’ils se s’ennuient, se sentent seuls, stressés ou malheureux. Cela est vrai aussi chez les enfants. Aider un enfant à comprendre les raisons qui le poussent à se tourner vers la pornographie peut l’aider à gérer autrement ces « éléments déclencheurs » », explique Poyner.
Il est également très utile de comprendre les schémas de l’enfant : à quel moment de la journée ou dans quelles circonstances est-il tenté d’aller visionner du porno ? Le retour de l’école est souvent un moment sensible de la journée, sachant que les enfants sont souvent seuls chez eux et qu’ils peuvent alors ruminer les événements difficiles ou stressants de la journée.
En plus de leur enseigner à garder un œil sur leur état émotionnel, Poyner conseille fortement aux parents d’aider leurs enfants à se construire et s’approprier un plan d’action personnel de gestion de leurs éléments déclencheurs. Cela signifie choisir des alternatives qui leur permettent d’éviter le recours à la pornographie.
- Tu t’ennuies ? Est-ce que tu pourrais aller faire du basket dehors ? Quelles sont les activités qui t’intéressent vraiment ?
- Tu t’es disputé avec ton ami ? Tu te sens découragé ? Avec qui pourrais-tu en parler en toute confiance ?
Avoir un confident ou un mentor vers lequel se tourner dans les moments de vulnérabilité peut vraiment aider les ados; quelqu’un qui soit là pour les encourager et les aider à gérer leurs émotions négatives. Les parents sont souvent parfaits pour ce rôle, en particulier un père pour son fils, mais cela peut aussi être un oncle ou une tante, un frère ou une sœur plus âgés…
Que votre enfant ait été exposé à la pornographie ou non, il est important de demander régulièrement en prière pour lui force et pureté dans ce domaine. Vous pouvez aussi demander au Saint-Esprit de vous montrer s’il y a le moindre signe que votre enfant a accès à de la pornographie. Ne concluez pas que si votre enfant n’en parle pas, il n’est pas touché. Comme nous l’avons vu dans notre premier article de cette série, cela est extrêmement difficile pour un enfant d’avouer qu’il a vu des images porno. Il est peu probable qu’il initie la conversation de lui-même si vous n’en parlez jamais avec lui.
Pour conclure, voici quelques conseils supplémentaires qui aideront vos enfants à rester loin de la tentation du porno :
- Ne laissez pas les questions de vos enfants sur le sexe sans réponse. Prenez le temps de leur parler de sexualité² de manière adaptée à leur âge. Faites-leur savoir qu’ils peuvent s’adresser à vous pour toutes leurs interrogations ou soucis dans ce domaine.
- Revenez régulièrement sur le sujet de la pornographie et de la sexualité pour pouvoir les accompagner au fur et à mesure de leur questions, expériences et tentations dans ces domaines. Encouragez-les à se détourner de tout ce qui touche à la pornographie.
- Ne donnez pas à votre enfant un téléphone avec accès internet avant au moins leur onze ans, en vous assurant qu’il soit capable de gérer une telle responsabilité.
- Les moments où les enfants risquent le plus d’être tentés de visionner de la pornographie sont la nuit, en rentrant de l’école et durant les vacances scolaires. Ne laissez pas votre enfant conserver son téléphone ou ordinateur dans sa chambre la nuit. Par ailleurs, soyez attentif à toute activité nocturne inhabituelle comme par exemple être devant l’ordinateur à une heure du matin sous prétexte qu’il n’arrive pas à dormir.
- Gail Poyner avertit les parents que beaucoup des enfants qu’elle suit ont vu de la pornographie pour la première fois en passant la nuit chez une ou un ami. Il pourrait être bon de déterminer avec votre enfant un mot-code qu’il puisse vous envoyer par message de chez son ami s’il s’y passe quelque chose qui le met mal à l’aise. Vous pourrez alors inventer une excuse crédible pour expliquer qu’il doive rentrer en urgence chez vous.
- Les filtres parentaux sont très utiles, mais des amis peuvent faire rentrer de la pornographie chez vous en l’enregistrant sur leurs téléphones. Poyner suggère que les amis qui viennent chez vous mettent leur téléphone dans une boite quand ils arrivent et les récupèrent en partant.
- Enseignez à votre enfant différents scripts pour les aider à dire non lorsqu’un ami leur propose de visionner du porno. Il peut par exemple dire : « Je n’ai pas envie de regarder ça. Ce n’est pas cool. »
- Assurez-vous que votre enfant vous voie rejeter les messages sur-sexualisés, par exemple en éteignant la télé quand il y passe des émissions ou des films indécents. Enseignez-lui à déchiffrer les faux messages que font passer les médias.
Vous pouvez poser des questions comme : « Qu’est-ce que cela nous dit sur les femmes ? Sur la virilité ? Sur la violence ? Sur le pouvoir ? Es-tu d’accord avec ce message ou non ? »
¹ Toutes les citations de Kristen Jenson sont tirées de son interview en ligne pendant la conférence des mamans The Mom Conference 2017 (Conferenceformoms.com).
² Téléchargez gratuitement notre livret « Parlons-en » ici.
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