L’excellence : une vertu négligée et mal comprise
Une invitation à aspirer à l’excellence divine, en toute simplicité et avec beauté
Par Subby Szterszky
« Ce sur quoi je souhaite attirer ton attention, c’est le mouvement généralisé vers la dévalorisation complète, pour finir par l’élimination, de tout type d’excellence humaine : morale, culturelle, sociale ou intellectuelle. […] Te souviens-tu de quand l’un des dictateurs grecs (on les appelait des « tyrans » à l’époque) envoya un émissaire vers un autre dictateur pour lui demander conseil concernant les principes de gouvernement ? Le second dictateur conduisit l’émissaire dans un champ de céréales. Là, se servant de sa canne, il coupa le sommet de toutes les tiges qui dépassaient le niveau moyen des autres plants. La conclusion allait de soi : ne laisse aucune prééminence émerger chez tes sujets. Ne laisse vivre aucun homme qui soit plus sage, plus fort, plus connu ou même plus beau que la masse. Coupe tout le monde au même niveau : tous esclaves, tous pantins, tous des “riens du tout”. Tous égaux. »
Extrait de Tactique du Diable de C.S. Lewis
C.S. Lewis a écrit ce texte en annexe à son livre Tactique du Diable à titre de critique du penchant à la médiocrité dans la culture moderne. Il existe une double ironie (probablement voulue par l’auteur) dans l’illustration par une anecdote issue de l’histoire grecque antique. Pour les Grecs, l’excellence, ou arete, comme ils l’appelaient, était une vertu majeure. Par la suite, ce mot trouva sa place dans le vocabulaire du Nouveau Testament.
Arete est repris cinq fois dans le Nouveau Testament grec : une fois par Paul (Philippiens 4.8) et quatre fois par Pierre (1 Pierre 2.9 ; 2 Pierre 1.3 et deux fois dans 2 Pierre 1.5). Dans chaque cas, la Bible en français traduit arete par « vertu » ou « qualité morale », une caractéristique de Dieu digne d’être estimée et imitée par son peuple.
L’excellence morale
Dans le contexte des Écritures, le sens premier d’arete est celui de l’excellence morale. Dieu est saint. Il est parfaitement pur, juste et bon. Il est merveilleusement doux et plein de compassion. De ce fait, ceux qui lui appartiennent sont amenés eux aussi à faire toujours davantage preuve de ces traits de caractère. En effet, le fruit de l’Esprit met en avant différentes facettes de l’excellence morale, que Dieu fait grandir dans la vie de ceux qui croient en lui.
Arete dans la pensée païenne et chrétienne
Cependant, arete avait une portée encore plus large dans le monde gréco-romain. Au-delà de l’excellence et de la vertu, ce terme évoquait également les notions de beauté, de force, de courage, d’intelligence, d’efficacité et de réalisation de son potentiel, parmi d’autres qualités. Par exemple, on pouvait dire d’une chaise bien confectionnée qu’elle avait sa propre arete. Tout ce que ce terme englobait était parfaitement clair pour les premiers lecteurs grecs du Nouveau Testament.
Dans la pensée païenne classique, l’homme était vu comme la mesure de toutes choses. De ce fait, l’arete humaine était considérée comme une fin en soi. Toutefois, les auteurs du Nouveau Testament ont redéfini le mot pour lui faire exprimer une vérité spirituelle bien plus élevée. En tant que porteurs de l’image de Dieu, et dans le but de refléter la nature de leur Créateur, les humains se doivent de rechercher l’excellence dans tous les domaines : moral, culturel, social et intellectuel (selon la liste de Lewis). Cela est particulièrement vrai pour les chrétiens, qui ont été rachetés par Jésus et qui sont transformés à sa ressemblance.
L’excellence culturelle
Dès le départ, dans le jardin d’Éden, Dieu a appelé le premier couple humain à exercer une domination sage et responsable sur sa création (Genèse 1.26-28). Ce mandat culturel s’étend à chaque individu, dans tous les domaines : les arts, les sciences, la médecine, le gouvernement, le travail, l’éducation. Quand elles sont accomplies avec excellence par un croyant ou un non croyant, ces activités reflètent quelque chose de la créativité, de la bonté et de la beauté du Dieu souverain.
L’excellence sociale
Même après avoir envoyé son peuple en captivité à Babylone, Dieu leur commanda à travers le prophète Jérémie de rechercher le bien de la cité de leur exil (Jérémie 29.4-7). Le peuple de Dieu est appelé à aller au-delà de la simple civilité. Chacun de ses citoyens se doit d’être exemplaire, une véritable lumière au sein de sa communauté et mobilisant tous ses efforts pour le bien de la société dans laquelle Dieu l’a placé.
L’excellence intellectuelle
Selon Jésus, le commandement le plus important des Écritures est d’aimer le Seigneur de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre force et de toute notre intelligence (Matthieu 22.35-40 ; Marc 12.28-31). Aimer Dieu de toute notre intelligence signifie aller au-delà des connaissances de base concernant la foi chrétienne. Cela implique de réels efforts mentaux, de la réflexion et de la méditation sur l’excellence de Christ afin de mieux le connaitre. Cela sous-entend une vie intellectuelle riche, le développement de notre pensée critique, l’amour de la vérité, accompagnés d’un réel désir d’explorer et de comprendre le monde que Dieu a créé. En un mot, il s’agit d’utiliser notre intelligence au maximum du potentiel que Dieu lui a donné.
L’arete négligée, mal comprise, puis acceptée avec joie
Comme nous prévient C.S. Lewis, il existe le risque, dans les sociétés démocratiques, de rechercher le confort de la médiocrité tout en rejetant ce qui est excellent. L’autre risque est de faire de l’excellence une idole. Ces deux tendances sont clairement visibles dans notre approche des célébrités. Nous commençons par les porter aux nues pour ensuite nous délecter de les descendre en flammes.
L’église aussi a tendance à jeter un regard quelque peu suspicieux sur l’excellence, comme s’il s’agissait d’un proche cousin de l’orgueil ou de l’ambition personnelle. Les croyants sont, comme tous, à risque de tomber dans le piège qui consiste à mesurer l’excellence en fonction de ce qu’en dit la culture ambiante, c’est-à-dire en termes de statut social ou de réussite financière.
Ce n’est néanmoins pas là l’essence de l’arete, que ce soit dans la pensée grecque antique ou dans le Nouveau Testament. Dieu n’a pas inclus l’excellence dans sa création pour que nous la fuyions, mais pour que nous nous en saisissions. Toute expression sincère de vertu, de beauté ou de bonté devrait pouvoir faire ce pour quoi elle existe : éveiller les esprits, toucher les cœurs et inspirer l’imagination de chacun.
Par-dessus tout, ces éclats d’arete devraient nous faire lever les yeux vers le ciel, remplis de louange et d’émerveillement pour celui dont ils reflètent l’excellence.
« Enfin, frères et sœurs, portez vos pensées sur tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est digne d’être aimé, tout ce qui mérite l’approbation, ce qui est synonyme de qualité morale [arete] et ce qui est digne de louange. » (Philippiens 4.8)
Subby Szterszky est le rédacteur en chef de la rubrique Foi et Culture chez Focus on the Family Canada.
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