Êtes-vous vrai avec votre conjoint ?
Les vertus de la vulnérabilité dans le couple et comment la cultiver
Par Henry Cloud
Une session de thérapie typique avec Jérémy et Rachel se déroulait ainsi : l’un commençait par accuser l’autre et l’autre répliquait immédiatement. L’échange de ce jour-là en particulier avait pour thème la « complète irresponsabilité » de Jérémy, selon la formulation de Rachel.
« Que voulez-vous dire par là ? », ai-je demandé.
« Il me laisse constamment tomber, a-t-elle expliqué. Chaque fois que je m’appuie sur lui, il ne se montre pas fiable et c’est moi qui me retrouve à devoir essuyer les plâtres après que la situation ait empiré. C’est toujours la même chose avec lui. »
La « situation » à laquelle elle faisait référence ici était plutôt importante : Jérémy avait oublié de payer la facture d’électricité et elle avait été coupée. Rachel était particulièrement mécontente.
Jérémy, quant à lui, n’hésitait pas à riposter : « Je fais des tonnes de choses bien et la seule chose que tu remarques, c’est celle que j’oublie. Je ne peux jamais gagner avec toi. Je pourvois aux besoins de notre famille, je prends soin de toi, je suis là pour les enfants, et à la moindre erreur, tu me tombes dessus ! » Il était à peu près aussi en colère qu’elle. Ils ont continué comme ça, s’accusant mutuellement par des phrases qui commençaient généralement par « Mais toi… » ou « Parce que tu… » Chacun voyait en l’autre la source du problème. J’ai rapidement compris que cet échange n’allait pas être efficace alors j’y ai mis un terme.
« Rachel, arrêtez-vous une seconde. Que ressentez-vous ? »
« Je ressens qu’il est tellement irresponsable et qu’il s’en fiche… »
« Non. » Je l’ai arrêtée. « “Je ressens qu’il” n’est pas un sentiment. Que ressentez-vous quand l’électricité est coupée ? »
« Je ressens qu’il devrait… »
« Non. “Je ressens qu’il devrait” n’est pas un sentiment non plus. Comment vous sentez-vous ? Arrêtez-vous un instant et essayez de voir comment vous vous êtes sentie au moment où cela s’est produit. »
« Eh bien, je suppose que je me suis sentie en colère », a-t-elle concédé.
« Non, ai-je répondu. Vous vous servez de la colère pour éviter de voir ce que vous ressentez réellement. Votre colère explose instantanément, mais elle est une réaction, pas un sentiment. Si vous n’étiez pas en colère, que ressentiriez-vous ? Vous vous mettez en colère pour tenir à distance un autre sentiment. Lequel ? »
« Je n’en sais rien », a-t-elle soufflé.
« Eh bien, prenez le temps d’y réfléchir. Voyons ce qui vous vient. »
D’un seul coup, son menton s’est mis à trembler. Il lui était difficile de parler.
« Qu’y a-t-il ? »
« C’est exactement comme avant », a-t-elle dit en se mettant à sangloter. « Ça a toujours été comme ça. » Ses paroles se sont noyées dans les pleurs et elle n’arrivait plus à s’exprimer.
« Racontez-moi », l’ai-je encouragée.
Rachel s’est alors mise à raconter combien ces épisodes avec Jérémy lui rappelaient les expériences qu’elle avait traversées des centaines de fois quand elle était enfant. Elle avait grandi avec une mère bipolaire et un père alcoolique. Elle avait souvent connu des moments ou l’électricité avait été coupée. Dans un foyer où régnait le chaos, ses parents étaient souvent incapables d’être présents pour faire à manger, pour rencontrer les professeurs ou assister à ses événements sportifs. Ils n’étaient pas à la hauteur de leurs responsabilités parentales, laissant Rachel souvent déçue.
En continuant son histoire, elle s’est mise à pleurer à chaudes larmes. À ce moment-là, quelque chose s’est passé chez Jérémy. Il a complètement changé de contenance, ainsi que de posture envers elle. Il s’est penché vers elle sur le canapé, passant son bras autour de ses épaules pour la serrer contre lui pendant qu’elle pleurait.
« Je ne savais pas que c’est ce que je te faisais ressentir. Je suis tellement désolé. Je ne savais pas », a-t-il murmuré.
Amour et vulnérabilité
À partir de là, nous avons pu commencer à démêler la pagaille dans laquelle ce couple s’était retrouvé. Jérémy faisait des gaffes, oubliant de faire quelque chose ou ne tenant pas une promesse. Rachel se mettait en colère contre lui, se plaignant de son irresponsabilité. En retour, il se défendait, trouvant qu’elle le surveillait de trop près et qu’elle ne voyait pas les efforts qu’il faisait. Elle se sentait légitimement enragée ; il se sentait injustement accusé.
Une chose a réussi à interrompre ce cycle, un élément que je considère aujourd’hui comme l’un des plus importants au sein d’une relation : la vulnérabilité. Il a fallu que je mette un terme à l’accès de colère de Rachel pour pouvoir découvrir la vulnérabilité qui se cachait dessous. Une fois qu’elle a ouvert son cœur, elle a mis en mouvement la force la plus puissante de l’univers : l’amour. En se montrant vulnérable, elle a permis à Jérémy de réagir avec amour. Dès qu’elle a cessé de s’accrocher à sa colère et au jugement, il s’est senti ému d’empathie et a abordé la vulnérabilité de Rachel avec amour.
Voilà le point clé à retenir : un mariage se construit sur la confiance et la vulnérabilité est indispensable pour permettre à la confiance de s’exercer.
Il est intéressant de noter qu’au moment où Jésus a été interrogé sur le divorce (Matthieu 19), il mentionne la raison pour laquelle Dieu a autorisé le divorce : la dureté de cœur. Quand on se fait mutuellement du mal, si leur cœur ne peut pas revenir à un certain niveau de douceur, la relation ne peut pas être restaurée. Le problème vient du fait que, quand les gens se blessent les uns les autres, ils cherchent souvent à se protéger eux-mêmes en endurcissant leur cœur. Cela rend le rapprochement et la confiance impossibles.
Ce qui est donc à retenir de tout cela, c’est que dans le couple, il faut faire alliance ensemble, en se promettant de ne pas laisser nos cœurs s’endurcir. Il ne faut pas s’accrocher à nos blessures passées ni refuser de discuter de nos désaccords mais accepter de se rendre vulnérable encore et encore.
Poser des limites saines
Avoir un cœur doux ne signifie pas rester ouvert à tous les vents et se laisser abuser, attaquer, tromper ou détruire. Il est important de poser des limites claires. Les limites sont une manière de se protéger du danger et des blessures quand l’autre personne est dans le déni et ne prend pas sa part de responsabilité dans vos problèmes. Tout le monde a besoin de ce type de protection.
Poser des limites, ce n’est pas s’endurcir. Un cœur dur est un cœur qui s’est vidé de tout sentiment et qui refuse de s’ouvrir quand cela est sûr, ou qui n’arrive pas à le faire. Un cœur tendre peut offrir le pardon et se montrer ouvert ; il désire résoudre les conflits et les blessures qui les accompagnent.
Par conséquent, au sein de votre mariage, cherchez à réagir comme Rachel : elle a fait taire sa colère et a laissé s’exprimer sa vulnérabilité et les souffrances cachées par sa colère. Cela a aussi ouvert une porte pour Jérémy. Quand deux personnes sont en colère l’une contre l’autre, chacun a tendance à chercher une position de pouvoir bien plus qu’une position de vulnérabilité. Il a fallu une tierce personne pour dissiper la colère et amener Rachel et Jérémy à se montrer vulnérables et doux de cœur.
Je vous suggère de parler avec votre conjoint de vulnérabilité. Expliquez-lui quand est-ce que c’est difficile pour vous de vous ouvrir à lui et quelles sont les situations douloureuses qui ont tendance à vous fermer le cœur. Un cœur fermé ira chercher du réconfort ailleurs, que ce soit dans la solitude, l’adultère, le travail ou les loisirs. Alors faites de votre mieux pour garder un cœur ouvert l’un envers l‘autre.
Si votre conjoint refuse de coopérer
Certains d’entre vous se demandent : « Et si mon conjoint n’est pas ouvert à cette conversation ? S’il/elle refuse de se montrer vulnérable ? » Ce sont de bonnes questions. La réponse consiste pour vous à faire deux choses. D’abord, évitez de laisser votre cœur s’endurcir, refusant de vous montrer aimant ou ouvert à la résolution. Montrez-vous honnête quant à ce que vous ressentez et laissez d’autres personnes vous aider dans votre souffrance. Vous pouvez aussi poser des limites pour éviter d’être blessé davantage voire, le cas échéant, d’être maltraité.
Ensuite, exprimez clairement vos attentes envers votre conjoint. Il ou elle doit accepter de prendre la responsabilité de ses propres comportements destructeurs, exprimer des remords à ce sujet et reconnaitre l’impact qu’ont ces comportements sur vous. Il ou elle doit ensuite s’engager à aborder les choses différemment. Il s’agit là du processus de base de confession et de repentance. Cela permet à la relation de continuer à avancer, ce qui demande que les deux parties aient un cœur adouci.
Si votre conjoint n’a pas le cœur ouvert à cela, vous pouvez tout de même suivre les deux conseils ci-dessus : posez des limites avec un cœur ouvert et demandez un changement de comportement avant de faire à nouveau confiance. C’est une position que vous pouvez tenir sur le long terme, car elle ne permet pas à l’autre de continuer à vous blesser. Les comportements blessants sont ainsi clairement nommés mais vous restez prêt à la réconciliation.
Les cœurs s’endurcissent sous l’effet de la souffrance et du péché. Parfois, nous nous fermons les uns aux autres parce que nous avons été blessés dans le passé ou parce que notre conjoint vient toucher des points sensibles chez nous. C’est normal. Mais nous sommes appelés à travailler là-dessus et à ne pas laisser l’amertume nous envahir. Nous nous fermons aussi parfois parce que nous nous rebellons contre le commandement de Dieu de nous montrer humbles et de nous pardonner les uns les autres comme il l’a fait pour nous. Si nous protégeons notre cœur contre l’endurcissement, cela ne pourra que faire du bien à notre mariage.
Dr Henry Cloud est l’auteur de plusieurs livres dont Oser s’affirmer : l’art de fixer des limites à autrui et Des limites pour nos enfants : l’art de poser un cadre dans l’éducation.
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