Une vie ordinaire dans des circonstances extraordinaires
Écrit par Joni Eareckson Tada
Le mariage des Tada n’a rien de traditionnel. Mon mari, Ken, est professeur d’histoire et entraîneur dans une école secondaire. Moi, je suis quadriplégique. Juste après avoir prononcé nos vœux à l’autel, en cheminant vers l’allée centrale, mon fauteuil roulant a presque quitté sa rampe d’accès. Heureusement, Ken est venu à ma rescousse. Nous avions à peine passé les anneaux à nos doigts qu’il était déjà évident que notre mariage connaîtrait de gros défis. Plusieurs personnes s’interrogeaient sur le bien-fondé de notre décision, mais Ken et moi étions amoureux. En plus, nous aimions tous deux Jésus. Nous étions donc convaincus qu’avec le Christ au centre de notre vie, nous avions tout ce qu’il nous fallait pour surmonter les moments les plus difficiles. Nous n’avions tout simplement pas réalisé l’ampleur de ces difficultés.
Les défis
Je me suis cassé le cou à l’âge de 17 ans lors d’un accident de plongée. Mon processus de rétablissement – sur les plans physique, émotionnel et spirituel – s’est avéré être lent. Mais lorsque j’ai rencontré Ken à l’église, 13 ans plus tard, j’avais trouvé une nouvelle norme de vie et je venais tout juste de fonder un centre pour mon ministère Joni and Friends.
Durant les premières années de notre mariage, malgré l’aide de nos amis pour pallier mon handicap, les obligations quotidiennes ont commencé à devenir un fardeau pour Ken. Chaque jour, il devait vider mes poches à urine, recharger les batteries de mon fauteuil roulant, me mettre au lit, me sortir du lit, faire les emplettes et la vaisselle… Cette routine quotidienne constante était pour Ken une pression énorme et il sombrait peu à peu dans une dépression sombre et profonde.
Un après-midi, Ken était particulièrement silencieux. J’avais appris à le laisser tranquille lorsque je me rendais compte que les choses étaient difficiles, mais son attitude détachée persista jusqu’au soir. Je l’ai donc imploré : « Ken, je t’en prie, dis-moi ce qui ne va pas. »
Finalement, juste avant d’éteindre les lumières pour dormir, il s’est assis sur le bord du lit. « Je n’en peux plus, m’a-t-il avoué doucement. Je me sens tellement… prisonnier. » Il y eut un long silence, et c’est alors que mes propres frustrations se sont manifestées. J’ai explosé en m’écriant : « Ne savais-tu pas que les choses seraient ainsi ? Où avais-tu la tête quand tu m’as demandé de t’épouser ? »
Un silence de mort s’en est suivi. Je savais que ce que je venais de dire était horrible et je me suis rapidement excusée : « Oh ! Ken, je suis tellement désolée. Ça ne me ressemble pas… Ce n’est pas mon genre de dire des choses comme cela. »
Mais, au fond, je savais que cela me ressemblait.
La grande pression
Je réalisai combien les rigueurs du mariage savent extirper toute trace d’égoïsme cachée au fond du cœur. Ce soir-là, Ken et moi sommes allés au lit sans échanger un mot de plus. Mais le lendemain matin, je me suis mise à prier avec le psalmiste : « Sonde-moi, ô Dieu, et connais mon cœur !… Regarde si je suis sur une mauvaise voie, et conduis-moi sur la voie de l’éternité ! » (Psaume 139.23-24). J’ai demandé à Dieu de me montrer comment devenir une épouse plus encourageante et compréhensive.
Les rigueurs du mariage savent extirper toute trace d’égoïsme cachée au fond du cœur.
Grâce à Dieu et à de bons amis, Ken a retrouvé la force de persévérer dans notre mariage. Durant les quelques années qui ont suivi, nous avons fait de notre mieux pour participer aux activités de l’un et de l’autre. J’ai reçu ses étudiants avec enthousiasme pour des barbecues dans la cour et il m’a accompagnée avec joie lors de voyages pour mon ministère.
Même à travers les échecs, Ken commençait à voir que Dieu utilisait mon fauteuil roulant pour lui révéler à lui aussi ce qui en lui n’était pas si joli à voir. Il me disait : « J’ai été vraiment désagréable ce matin, je t’en demande pardon. » ou « Je suis désolé d’avoir ignoré ton avis. » Avouer nos péchés – à Dieu mais aussi l’un à l’autre – devenait graduellement une habitude pour nous.
Un poids soulevé
Au fil des années, j’ai remarqué certains changements dans mon état physique. Je ressentais plus de douleur, ce qui entraînait un besoin de changements de position plus fréquent dans mon lit pendant la nuit et dans ma chaise pendant le jour, ainsi que l’annulation de sorties avec des amis.
Une nuit, après avoir dû me retourner trois fois de plus que d’habitude, Ken s’est affaissé sur le lit, épuisé. Et, une fois de plus, je l’ai laissé tranquille, en silence. Il a poussé un profond soupir et a avoué : « Joni, je suis tellement fatigué. Je ne crois pas être capable de continuer ainsi. Je me sens tellement prisonnier. »
Il y eut un long silence, tout comme cette nuit plusieurs années auparavant. Puis, je lui ai dit doucement : « Ken, je ne te blâme pas du tout de te sentir prisonnier, et si j’étais à ta place, je me sentirais exactement comme toi. Je veux seulement que tu saches que je comprends, et que je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour te soutenir et t’aider. Je crois que tu es incroyable, et qu’avec l’aide de Dieu, nous pouvons y parvenir, malgré tout. »
Soudain, c’était comme si un poids invisible s’est soulevé des épaules de Ken. Ce fut un tournant décisif dans notre mariage. Dieu nous a montré la voie de l’éternité dont nous parle le Psaume 139. C’est à ce moment que nous avons su que nous allions nous en tirer d’une manière ou d’une autre et qu’on en sortirait en étant les meilleurs amis au monde.
Un amour qui transforme
Ken et moi avons découvert un amour qui sait tenir le coup. Nous avons appris que les relations les plus durables exigent des efforts considérables. Ces relations sont mises à l’épreuve par la souffrance et la frustration et parfois, elles sont poussées jusqu’à leurs limites, comme le jour où j’ai appris que j’avais le cancer du sein de stade 3.
On s’est demandé : Comment ferons-nous face à tout cela ? Après ma mastectomie, Ken et moi étions dans le bureau de mon oncologiste, accompagnés de notre amie Judy, qui m’avait aidée pendant plusieurs années avec mes soins personnels. L’oncologiste s’est mis à dresser la liste de tous les problèmes que j’aurais à traverser à la suite de mon imminente chimiothérapie.
Aussitôt qu’il a quitté la pièce, je me suis effondrée en larmes. « Je ne peux pas. Je ne peux pas ! » Judy s’est levée pour m’étreindre, mais j’ai senti Ken se glisser entre nous. Il m’a dit tendrement : « À partir de maintenant, je m’en charge. » Ses paroles ne sont pas tombées dans l’oreille d’une sourde. Était-ce le même homme qui, quelques années plus tôt, était au bout de ses forces et se sentait prisonnier de la situation ? Non, c’était Ken Tada, un homme transformé à l’image du Christ (2 Corinthiens 3.18).
Les innombrables prières que nous avons prononcées pendant plus de deux décennies de quadriplégie et de souffrance, et les heures que Ken et moi avons passées à apprendre des passages des Saintes Écritures par cœur nous avaient préparés à faire face au cancer avec courage. Le cancer nous a non seulement mis à rude épreuve, mais il nous a aussi poussés à nous appuyer davantage sur Jésus. Et, plus nous dépendions de Christ pour notre force émotionnelle, plus nous expérimentions une intimité avec Lui et l’un avec l’autre. Une douce et précieuse union comme nous en rêvions le jour de notre mariage.
Joni Eareckson Tada est la présidente de Joni and Friends, un ministère international qui apporte le message de l’Évangile aux personnes handicapées.
Cet article a été publié dans le numéro de janvier-février 2014 du magazine Thriving Family sous le titre Real life with Joni and Ken. Tous droits réservés © 2013 Joni Eareckson Tada. Utilisation autorisée.