Rachael Denhollander : Une lumière dans les ténèbres
Écrit par Subby Szterszky
De toutes les histoires obscures de prédateurs sexuels en position d’autorité qui ont été amenées à la lumière, celle de Larry Nassar est l’une des plus sordides. En tant que médecin sportif pour l’équipe de gymnastique américaine et à l’Université du Michigan, Nassar a abusé plus de 200 filles et jeunes femmes qui étaient confiées à ses soins et cela, pendant au moins deux décennies. Ces crimes lui ont valu une peine de prison de 40 à 175 années, qu’il purge actuellement au Michigan.
Rachael Denhollander, une avocate chrétienne évangélique, fut la première parmi les victimes de Nassar à porter des accusations contre lui. Elle fut également la dernière des 156 femmes à faire face à leur agresseur et à livrer un témoignage percutant lors du procès de Nassar[1].
Denhollander a fait une allocution de 40 minutes devant la cour et devant Nassar. Son discours était courageux et articulé, débordant de grâce et de perspicacité théologique. Il a attiré l’attention des médias grand public et chrétiens et il a mis en lumière des vérités que notre culture, tout comme que l’église, ont besoin d’entendre.
L’inestimable valeur de la vie humaine
Quelle est la valeur d’une petite fille ? Quelle est la valeur d’une jeune femme ?
Denhollander a commencé son discours et l’a terminé avec ces questions. Elle les a répétées à maintes reprises durant son allocution. Ces questions étaient presque rhétoriques puisque toute personne raisonnable connaît déjà la réponse, selon Denhollander. Néanmoins, elle a soutenu que les questions sur la valeur de la vie humaine constituent le fondement du système judiciaire, qui a deux fonctions essentielles : protéger les innocents et rendre justice aux victimes.
Elle a souligné que lorsque les victimes sont blâmées ou que les crimes commis contre elles sont minimisés ou atténués (comme cela se produit trop souvent dans les cas d’agressions sexuelles), cela envoie deux messages : l’un donne du pouvoir au criminel et l’autre dévalorise la victime. C’est pourquoi les crimes les plus odieux contre la vie humaine méritent les peines les plus sévères de la loi, et Denhollander a supplié le juge de le condamner à la peine maximale :
« Je vous demande de prononcer une sentence qui démontre que ce que nous avons subi est grave, que nous sommes reconnues comme victimes, que nous avons une valeur inestimable, et que nous avons droit à la meilleure protection et à la peine la plus sévère que la justice peut offrir. »
Dénoncer le mal pour ce qu’il est
Lorsque Denhollander s’est tournée pour s’adresser à son agresseur, elle lui a exprimé, sans équivoque, que ce qu’il avait fait était mal. Cela est remarquable dans la culture de ce monde, qui a de plus en plus en aversion les absolus moraux, et où on préfère parler de faiblesses et d’échecs plutôt que de péché et de mal.
Si ce qu’ont subi Denhollander et toutes les autres filles et jeunes femmes était effectivement mauvais – la confiance trahie, l’innocence démolie, les cicatrices physiques et spirituelles qui perdurent pour la vie – cela signifie qu’il doit y avoir un standard de bien absolu par lequel nous mesurons le mal commis. Denhollander a exprimé ce concept à Nassar et à la cour en citant C.S. Lewis :
« À travers tout ce processus, je me suis accrochée à la citation de C.S. Lewis qui dit : « Mon argument contre Dieu était que l’univers semble si cruel et injuste. Mais comment ai-je eu cette idée de juste et d’injuste ? Un homme n’appelle pas une ligne tordue à moins qu’il ait d’abord une idée de ce qu’est une ligne droite. À quoi comparais-je l’univers quand je l’ai qualifié d’injuste ? »
Larry, je peux dire que ce que tu as fait est mal et pervers parce que cela l’était. Et je sais que c’était mal et pervers parce que la ligne droite existe. La ligne droite n’est pas mesurée selon ta perception ou celle de quiconque d’autre, ce qui signifie que je peux proclamer la vérité sur les abus que j’ai subis sans minimiser ou mitiger les faits d’aucune façon. Et je l’appelle mal parce que je sais ce qu’est le bien. »
Le pardon, oui ! Mais pas sans la justice
C’est à la croix de Christ que se trouvent la justice et la miséricorde de Dieu. L’apôtre Paul l’exprime dans sa lettre aux Romains dans laquelle il dit que le sacrifice de Christ a satisfait la colère de Dieu et a rendu possible pour Lui d’être juste tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus (Romains 3.21-26).
Trop souvent de nos jours, les chrétiens ont tendance à passer sous silence la colère et le jugement divins ainsi que le besoin de se repentir, et sautent directement au pardon. Mais le faire, c’est dévaloriser la grâce, selon Dietrich Bonhoeffer. Ce n’est que lorsqu’un pécheur reconnaît la profondeur de sa culpabilité et le prix payé pour son pardon que la grâce de Dieu devient vraiment belle et précieuse et qu’elle transforme en profondeur l’âme du pécheur.
Rachael Denhollander connaît et aime cet évangile glorieux. Elle l’a partagé gracieusement et de façon éloquente avec son agresseur lors de l’audience publique. Les paroles qu’elle lui a adressées valent la peine d’être citées du début à la fin :
« Lors des premières audiences, tu as apporté ta Bible et tu as mentionné que tu priais pour le pardon. Et c’est sur la base de cette affirmation que j’en appelle à toi maintenant. Si tu as lu la Bible que tu tiens entre les mains, tu sais que la définition de l’amour sacrificiel décrit dans ces pages est celui de Dieu lui-même nous aimant tellement qu’il a tout abandonné pour payer une pénalité pour le péché qu’il n’a pas commis. Par sa grâce, moi aussi, j’ai choisi d’aimer de cette façon.
Tu as dit que tu priais pour le pardon. Mais Larry, si tu as lu la Bible que tu tiens, tu sais que le pardon ne vient pas des bonnes actions, comme si les bonnes œuvres pouvaient effacer ce que tu as fait. Le pardon vient de la repentance qui nécessite de reconnaître et de faire face à la vérité à propos de ce que tu as fait, dans toute sa perversité et sa laideur, sans la mitiger, sans trouver d’excuses, sans te comporter comme si de bonnes œuvres pouvaient effacer tout ce que tu as vu dans cette cour aujourd’hui.
La Bible que tu tiens entre les mains dit qu’il vaudrait mieux pour toi qu’on mît à ton cou une pierre de moulin et qu’on te jetât dans la mer plutôt que tu scandalises une seule de ces petites. Et tu en as scandalisé des centaines.
La Bible dont tu parles promet un jugement dernier où la colère de Dieu et une terreur éternelle seront le lot des hommes comme toi. Si un jour tu réalises tout le mal que tu as fait, la culpabilité que tu ressentiras sera écrasante. Et c’est ce qui rend l’Évangile de Christ si merveilleux. Il répand la grâce, l’espoir et la miséricorde là où il ne devrait pas s’en trouver. Et il y en a pour toi aussi.
Je prie pour que tu expérimentes le poids écrasant de la culpabilité afin que tu puisses vivre une vraie repentance et un pardon véritable de la part de Dieu. C’est de cela que tu as besoin, bien plus que le pardon venant de moi, bien que je te l’accorde aussi. »
Parler malgré le prix à payer
Quand Denhollander a dévoilé publiquement les abus qu’elle avait subis, elle a présenté des preuves irréfutables ainsi que des témoignages d’experts pour appuyer ses dires. Par son exemple, elle a également inspiré les centaines d’autres jeunes femmes qui avaient été agressées par Nassar et leur a donné l’audace de raconter leurs propres histoires.
Malgré tout cela, elle a fait l’objet d’attaques publiques et privées sur son récit et contre sa personne. Elle a été accusée d’avoir réagi de manière excessive. On lui a dit qu’elle était embrouillée. Elle a été traitée d’opportuniste qui faisait tout cela pour l’argent. Ses secrets les plus intimes ont été déterrés et son journal personnel mis à la disposition de son agresseur. Tragiquement, même les gens de son église ont fini par se retourner contre elle :
« Mon implication dans la défense des victimes d’agression sexuelle, cause que je chéris, m’a coûté mon église et nos amis les plus proches trois semaines avant que je dépose ma plainte à la police. Je suis restée seule et isolée. Et pire encore, lorsque l’affaire est devenue publique, mon agression sexuelle a été utilisée comme une arme contre moi par ceux qui auraient dû être les premiers à me soutenir et à m’aider. J’ai été empêchée de faire ce que j’aimais le plus, à savoir tendre la main aux autres. J’ai été victime de mensonges et d’attaques personnelles au vu et au su de tous alors que je témoignais sous serment. »
« Je veux que vous compreniez pourquoi j’ai fait ce choix, sachant très bien le prix à payer pour y parvenir et malgré le peu d’espoir de réussir. Je l’ai fait parce ce que c’était la bonne chose à faire. Peu importe le coût, c’était faire ce qui est bien. »
Lorsqu’elle a clarifié les choses lors de déclarations subséquentes, il s’est avéré que le rejet qu’elle avait vécu de la part de son église n’était pas concernant le cas de Nassar mais plutôt à cause de son implication en tant qu’avocate travaillant pour la cause des victimes d’abus sexuels, en particulier dans les églises évangéliques. Elle attribue ce rejet non pas à de mauvaises motivations mais plutôt à une mauvaise théologie, à savoir négliger la justice pour un pardon facile, blâmer la victime pour une prétendue immodestie, ou refuser d’admettre qu’un péché sexuel grave peut se produire dans l’église.
Malgré tout, elle demeure ferme dans son engagement à parler pour les victimes, peu importe ce qui lui en coûte sur le plan personnel. Plus étonnant encore, elle et son mari restent des adorateurs zélés pour Jésus dans leur nouvelle église, malgré tout ce qu’ils ont vécu.
Une voix prophétique
Au lendemain du verdict de culpabilité, au moins deux blogueurs chrétiens ont comparé Denhollander à une voix prophétique. Bien que la comparaison soit métaphorique, il y a des similitudes indéniables.
Comme les prophètes de l’Ancien Testament, Denhollander a confronté des idéologies bien ancrées et erronées, répandues dans la société et la communauté religieuse de son époque. À cette culture qui a largement rejeté les absolus moraux ainsi que la réelle valeur d’une vie humaine, elle réaffirme ces deux choses avec des arguments irréfutables.
À l’église qui parfois se hâte de pardonner au risque de ne pas faire justice, elle rappelle que l’Évangile prône la nécessité des deux. Et elle met au défi la société et l’église de tout faire pour mieux protéger les plus démunis et rendre justice à ceux qui en ont le plus besoin.
Le langage prophétique s’avère parfois très graphique, non pas pour choquer, mais afin de réveiller les auditeurs complaisants à la gravité du mal commis. Reconnaissant que le langage juridique technique peut souvent masquer l’horreur des agressions sexuelles, Denhollander a décrit ce qui lui a été fait avec des détails douloureux, graphiques et bouleversants qui n’ont laissé personne indifférent.
Par-dessus tout, le discours de Denhollander incarne les vérités citées dans la célèbre déclaration du prophète Michée : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien ; et ce que l’Éternel demande de toi. C’est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, et que tu marches humblement avec ton Dieu. » (Michée 6.8)
Denhollander en a appelé à la justice pour elle-même et pour les autres survivantes avec douceur et humilité. Elle a défendu devant la cour la valeur de la vie humaine, spécifiquement celle de ceux qui sont parmi les plus vulnérables. Elle a eu la force morale de nommer le mal pour ce qu’il est. Elle a partagé l’Évangile avec l’homme qui l’a violée elle, ainsi que d’innombrables autres jeunes filles. Et elle a fait tout cela avec tant de courage et de dignité qu’elle a eu droit à une ovation lorsqu’elle a terminé de s’adresser à la cour.
Dans sa conclusion, la Juge Rosemarie Aquilina, qui a présidé lors du verdict de culpabilité, a surnommé Denhollander la générale cinq étoiles de l’armée des survivantes. Elle continua en disant : « Tu as provoqué ce raz de marée. C’est grâce à toi que tout cela s’est produit. Tu as fait en sorte que toutes ces voix soient entendues et fassent la différence. Tes sœurs survivantes et moi-même t’en remercions. Tu es la personne la plus courageuse que j’ai vue dans ma salle d’audience. »
Pour tout ce qu’elle a accompli et enduré, l’église et la société doivent à Rachael Denhollander une dette incommensurable de gratitude.
Sources et suggestions de lecture (en anglais)
CNN Editorial, “Read Rachael Denhollander’s full victim impact statement about Larry Nassar,” CNN, 30 janvier 2018.
USA Today Sports, “Watch: Nassar victim Rachael Denhollander speaks out,” YouTube, 24 janvier 2018.
Rachael Denhollander, “The price I paid for taking on Larry Nassar,” New York Times, 26 janvier 2018.
Rachael Denhollander, “My Larry Nassar testimony went viral. But there’s more to the Gospel than forgiveness. (Interview by Morgan Lee),” Christianity Today, 31 janvier 2018.
Mark Alesia, Marisa Kwiatkowski and Tim Evans, “Rachael Denhollander’s brave journey: Lone voice to ‘army’ at Larry Nassar’s sentencing,” IndyStar, 24 janvier 2018.
Murray Campbell, “Rachael Denhollander and her extraordinary speech,” The Gospel Coalition Australia Edition, 25 janvier 2018.
Aaron Earls, “Rachael Denhollander, C.S. Lewis and a good God in horrific times,” The Wardrobe Door, 25 janvier 2018.
Lori Johnston, “She helped bring down Larry Nassar. At his sentencing for sex crimes, she spoke about her faith.” Washington Post, 25 janvier 2018.
John Stonestreet and Stan Guthrie, “Rachael Denhollander and the Gospel of costly grace: Naming evil, extending forgiveness,” BreakPoint, 2 février 2018.
Justin Taylor, “The incredible testimony as a former gymnast confronts her sexual abuser in court,” The Gospel Coalition U.S. Edition, 24 janvier 2018.
Kendra Thompson, “The prophetic voice of abuse survivors,” Think Christian, 30 janvier 2018.
Rebecca VanDoodewaard, “Gymnasts, prophets, and us,” Gentle Reformation, 25 janvier 2018.
Subby Szterszky est le rédacteur en chef de la rubrique Foi et Culture chez Focus on the Family Canada.
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[1] Rachael Denhollander relate son parcours et le procès dans son livre Que vaut une fille ? que vous pouvez retrouver sur notre librairie en ligne.