Lettre à mon ami athée ou agnostique
Par Dominique Ourlin
Salut Bernard,
J’espère que tu gardes un bon souvenir de notre récente partie de pêche ! C’est toujours un plaisir de partager de tels moments avec toi, même s’il est clair que tu es meilleur que moi pour taquiner le poisson…
C’était aussi bien agréable de pouvoir refaire le monde ensemble en attendant que le poisson morde. Ça m’a aidé à mieux comprendre tes réticences envers la foi chrétienne, que je partage au moins en partie : guerres de religion et croisades, une fréquente étroitesse d’esprit, sans parler des multiples scandales qui ont émaillé son histoire jusqu’à ce jour. Merci d’avoir accepté d’entendre mon point de vue, moi qui ne suis ni scientifique ni théologien !
J’espère que je ne t’ai pas donné l’impression de vouloir te « convertir ». Je n’en ai ni le droit ni, Dieu merci, le pouvoir ! Chacun doit pouvoir trouver sa voie et vivre ses choix. Quel privilège – et quelle responsabilité !
Je n’ai pas voulu non plus par mes propos prendre la défense de Dieu qui, après tout, doit être bien assez grand pour se défendre tout seul s’il le juge utile. Selon moi, un Dieu qui aurait besoin de ses créatures pour le défendre ne serait qu’un dieu avec un petit « d » — semblable à tous ceux que l’homme s’est créés à son image et pour son malheur.
Mon cœur est bouleversé et déchiré de voir le gouffre qui sépare tant d’hommes et de femmes d’une foi qui, loin de faire de nous des adeptes de dogmes hérités d’une institution archaïque, nous appelle au contraire à apprendre à être aimés de Dieu, à l’aimer en retour, lui, ainsi que tous ceux qui nous entourent. Cet amour doit se traduire naturellement et notamment en les écoutant et les respectant, quelles que soient leurs orientations et leurs opinions.
La foi que j’ai découverte en explorant les pages des évangiles est à des années-lumière des bondieuseries et des fables accumulées par des siècles de chrétienté poussiéreuse. Il y a — hélas ! — trop souvent tout un monde entre la chrétienté — ce que les croyants ont fait de leur foi, une piété trop souvent marquée par l’arrogance, l’autoritarisme et l’intransigeance — par opposition au véritable christianisme qui nous appelle à une authentique relation personnelle avec Dieu par Jésus-Christ.
Le christianisme originel ouvre l’esprit et le cœur sur Dieu, soi-même et les autres. Il n’est pas paralysé et conditionné par la peur et la culpabilité. Le christianisme des pages de l’évangile est aux antipodes de toute cupidité, de toute soif de profit, de pouvoir et de contrôle. Il a en horreur la pensée même des croisades, de l’Inquisition, des guerres de religion, et que dire des scandales de mœurs, des dérives sectaires, etc. Honte à ceux qui se sont servis de Dieu pour mieux se servir, éloignant ainsi des générations entières de la foi simple et saine dont ils se prétendaient porteurs ! Dieu merci pour tous ceux qui, sans faire de bruit, permettent à notre génération de s’en faire une meilleure image.
Si j’en avais l’autorité, je voudrais demander pardon au monde. Pardon au nom de la chrétienté de tous les siècles, mais ce serait bien prétentieux que de vouloir parler au nom de tous !
Je le dis quand même : pardon, ami athée ou agnostique, d’avoir trop souvent par notre exemple alimenté tes doutes plutôt que rendu témoignage d’une foi porteuse d’espérance, de respect et d’amour pour tous. Nous avons trop souvent été les ennemis de la foi que nous proclamons, et cela est difficilement pardonnable. Il y a longtemps que je pense que Dieu a besoin de plus de patience envers ceux qui se réclament de lui qu’envers ceux qui le renient.
Dis-moi si je me trompe, mais je pense que l’ingrédient qui fait le plus défaut dans les échanges entre croyants et non-croyants est une saine humilité de part et d’autre ; cette qualité qui fait que l’on est conscient de ses limites, quelles que soient nos opinions ou nos convictions, et que l’on peut oser écouter et apprendre de l’autre, quelles que soient les siennes et d’où qu’il vienne. Quoi de plus frustrant qu’un dialogue de sourds, et quoi de plus délicieux et enrichissant qu’une conversation ouverte entre deux personnes réceptives et prêtes à se remettre en question ! Comme disait l’autre, « l’esprit humain, c’est comme un parachute : il fonctionne mieux quand il est… ouvert ». Je reconnais que je continue de l’apprendre, parfois à mes frais !
Ceci dit, que l’on soit croyant ou non, il est bon d’avoir le courage de nous arrêter parfois pour nous demander quelles sont les motivations profondes qui nous font réagir comme nous le faisons — pour ou contre Dieu et la foi. Nos préjugés sont souvent le fruit de toutes sortes de précédents et de prémisses. Cela vaut autant pour celui qui a « basculé » du côté de la foi que pour celui qui a opté pour l’athéisme, l’agnosticisme ou le scepticisme.
Avec le recul de l’âge, j’en suis arrivé à la conviction que la plupart de nos croyances plongent leurs racines davantage dans notre héritage culturel, familial et social, ainsi que dans l’influence énorme des médias, plus que dans une réflexion objective et toute personnelle. Nous sommes tous « sous influence ».
Je relisais ces jours-ci le livre La gloire de mon père, un bon vieux classique de Marcel Pagnol. Quelle surprise que d’y rencontrer cette belle phrase : « Telle est la faiblesse de notre raison : elle ne sert le plus souvent qu’à justifier nos croyances[1]. » Avouons-le, d’où que nous venions dans la vie, il n’est pas facile de dépasser nos idées reçues et préconçues. On attribue à Albert Einstein ces propos : « Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé. » Voilà qui est bien vrai pour chacun de nous, que nous soyons croyants ou non.
Jésus nous invite à bâtir nos convictions « sur le roc » d’une réflexion saine fondée sur ses paroles et non « sur le sable » des opinions et des préjugés ambiants. Un de mes principes bibliques préférés dit ceci : « Ne sois pas crédule. Vérifie bien les faits, et retiens ce qui est bon[2]. » J’aime cette invitation au recul, à une réflexion saine, personnelle, au choix. Un appel à être responsable face aux affirmations des autres comme aux nôtres, y compris et peut-être surtout, celles qui se réclament d’en-haut.
J’ajouterai que le christianisme de Jésus-Christ n’a rien d’un conte de fées. Jésus-Christ ne parlait pas de fées, mais de faits. Il était bien plus concret et réaliste que nombre de nos philosophes et autres penseurs des générations qui l’ont suivi. Il parlait des nombreux défis des relations humaines – du besoin de pardon, de respect, d’écoute ; mais aussi d’argent, de justice, d’authenticité.
Je laisserai le dernier mot à Isaac Newton, physicien, mathématicien, philosophe, astronome, qui a notamment formulé la loi sur la gravitation universelle : « J’ai une croyance totale dans la Bible comme Parole de Dieu, écrite par ceux qu’il a inspirés. Je l’étudie tous les jours ». Il conseille à son lecteur : « Interroge toi-même les Écritures [la Bible], en les lisant souvent et en méditant en permanence ce que tu lis, tout en priant Dieu avec ardeur pour qu’il éclaire ton entendement.[3] » Venant d’un tel cerveau scientifique, le défi mérite d’être relevé !
Ton ami Patrick
P.S. À quand notre prochaine sortie de pêche ? J’ai une revanche à prendre… 😉
Dominique Ourlin est pasteur au Québec depuis plus de 18 ans, avec son épouse Candy. Il est aussi l’auteur de deux livres, disponibles sur PainSurLesEaux.com.
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[1] Marcel Pagnol, La gloire de mon père, éd. Livre de poche, 1967, p. 29.
[2] La Bible, 1 Thessaloniciens 5.21, paraphrase de l’auteur.
[3] Isaac Newton, traduction de Jean-François Baillon, Fragments d’un traité sur l’Apocalypse, Paris, Gallimard, 1996.