Dix signes d’une spiritualité émotionnellement malsaine
Les raisons qui nous empêchent de changer positivement, et des pistes pour se laisser transformer en profondeur.
Écrit par Peter Scazzero
Jay, un membre de notre église, m’a récemment confié ceci : « Cela fait 22 ans que je suis chrétien. Mais au lieu d’être un chrétien de 22 ans, je suis plutôt un chrétien qui a eu 1 an vingt-deux fois ! J’ai l’impression de répéter sans arrêt les mêmes choses. » Quand Angela m’a expliqué pourquoi elle n’allait plus à l’église depuis 5 ans, elle m’a demandé : « Pourquoi tant de chrétiens sont-ils des êtres humains tellement pourris ? » Il s’agit de seulement deux exemples d’une vie chrétienne ayant des bases émotionnelles et spirituelles instables.
Voici dix « symptômes » pour vous aider à déterminer si votre spiritualité est nourrie par une immaturité émotionnelle et des pistes pour vous libérer de ces schémas de pensées malsains qui vous empêchent d’avancer.
- Se servir de Dieu pour le fuir
Il existe peu de virus mortels aussi difficiles à repérer que celui-ci. En apparence, tout semble être sain et bien fonctionner. Mais en fait, il n’en est rien. En ce qui me concerne, je sais que je me sers de Dieu pour le fuir quand je me crée tout un tas d’activités « spirituelles », tout en ignorant les problèmes dans ma vie sur lesquels Dieu veut travailler.
Par exemple, j’utilise Dieu pour le fuir quand :
- je travaille pour Dieu dans le but de me satisfaire, moi, et non pour satisfaire Dieu
- je fais des choses en son nom qu’il ne m’a jamais demandé de faire
- je prie pour que ma volonté soit faite, plutôt que de prier pour me soumettre à la sienne
- je mets en avant un « bon comportement chrétien » pour qu’on ait une bonne opinion de moi.
- Ignorer nos émotions négatives : colère, tristesse, peur, etc.
Beaucoup d’entre nous sont convaincus que la colère, la tristesse et l’inquiétude sont des péchés à éviter à tout prix et qu’ils signalent un problème dans notre vie spirituelle. Comme de nombreux chrétiens, on m’a dit qu’il ne fallait pas se fier à mes sentiments, car ils étaient instables et que c’était la dernière chose dont je devrais m’occuper dans ma vie spirituelle.
C’est vrai que certains chrétiens vont dans l’autre extrême et suivent leurs sentiments d’une manière malsaine, ce qui n’est pas biblique. Mais pour la plus grande part, les chrétiens ne se donnent pas le droit de reconnaitre ce qu’ils ressentent ni de l’exprimer.
C’est particulièrement vrai pour des sentiments comme la peur, la tristesse, la honte ou la colère. Quand on y réfléchit, les conséquences d’un système de croyances si déséquilibré sont énormes. Cela nous entraine à dévaluer et réprimer l’aspect émotionnel de notre humanité, qui a pourtant aussi été créé à l’image de Dieu. Malheureusement, comme l’écrit Thomas Merton, certaines de nos croyances et de nos attentes chrétiennes d’aujourd’hui ont « simplement anéanti notre humanité, plutôt que de la libérer pour qu’elle se développe abondamment, dans tous ses aspects, sous l’influence de la grâce. »
- Mourir aux mauvaises choses
C’est vrai, Jésus a dit : « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. » Mais si l’on applique ce verset de manière rigide, sans le relier au reste des Écritures, on arrive au contraire de ce que Dieu veut dire. Il en résulte une théologie erronée et étriquée.
Nous sommes appelés à mourir à ce qui est mauvais en nous – comme une attitude défensive, l’indifférence aux autres, l’arrogance, l’entêtement, l’hypocrisie, le jugement, le manque de vulnérabilité – ainsi qu’aux autres péchés décrits plus explicitement dans la Bible.
Nous ne sommes pas appelés à mourir aux bonnes parties de qui nous sommes. Dieu ne nous demande jamais de mourir aux désirs et plaisirs sains de la vie : l’amitié, la joie, la musique, l’art, la beauté, les loisirs, les rires et la nature. Dieu plante ces désirs dans nos cœurs pour que nous les nourrissions et que nous les arrosions. Ces désirs et passions sont souvent des invitations de Dieu, des cadeaux de sa part. Pourtant, nous avons tendance à nous sentir coupables de les déballer.
Dieu ne cherche pas à annihiler notre « moi ». Nous ne sommes pas censés devenir des « non-gens » quand nous devenons chrétiens. C’est exactement l’inverse. Dieu veut que notre « moi » le plus profond, le plus vrai, celui qu’il a créé, fleurisse librement alors que nous le suivons.
- Nier l’impact du passé sur notre présent
Quand nous décidons de suivre Jésus, quel que soit notre âge, nous passons par ce que la Bible appelle symboliquement la nouvelle naissance. L’apôtre Paul la décrit ainsi : « Les choses anciennes sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. [1] »
La croissance en Jésus (aussi appelée la « sanctification »), ça ne veut pas dire avancer vers ce que Dieu a mis devant nous sans revenir sur notre passé. La croissance exige au contraire que nous revenions sur notre passé pour nous libérer des schémas malsains et destructeurs qui nous empêchent de nous aimer, d’aimer les autres, et d’aimer Dieu selon son plan.
- Séparer nos vies entre ce qui est « sacré » et ce qui est « mondain »
C’est tellement facile de ranger Dieu dans nos « activités chrétiennes » à l’église et dans notre discipline spirituelle personnelle, sans penser à lui dans notre mariage, l’éducation de nos enfants, la gestion de notre argent, nos loisirs, ou quand nous étudions pour des examens.
Selon certains sociologues, l’un des grands scandales de notre époque est que « les chrétiens évangéliques sont tout autant susceptibles que le reste du monde de choisir des modes de vie aussi hédonistes, matérialistes, égocentriques et sexuellement immoraux. »
Aux États-Unis, les statistiques sont accablantes :
- Autant de divorces dans l’église qu’en dehors.
- Autant de violence conjugale dans l’église qu’en dehors.
- La façon dont les membres des églises gèrent leur argent et donnent aux autres est presque aussi matérialiste que les non-chrétiens.
- Les chrétiens évangéliques blancs sont les plus susceptibles de s’opposer à un voisinage d’une autre ethnie.
- De nombreux évangéliques trouvent acceptable l’idée du sexe avant le mariage.
L’auteur Ron Sider décrit ainsi notre manque de cohérence : « Sur les questions du mariage et de la sexualité, ou de l’argent et de l’aide envers les pauvres, les évangéliques d’aujourd’hui vivent des vies scandaleusement non bibliques. […] Les données montrent que dans beaucoup de domaines cruciaux, ils ne vivent en rien différemment de leurs voisins non-croyants. [2] »
- Faire pour Dieu plutôt que d’être avec Dieu
Être efficace et productif, c’est une grande priorité dans notre culture occidentale. On m’a expliqué que prier et profiter de la présence de Dieu, sans autre but que celui de se délecter en lui, est un luxe que nous pourrons nous permettre quand nous serons au ciel. Pour l’instant, il y a trop à faire.
Est-ce que faire des choses est mal ? Non. Mais une œuvre pour Dieu qui n’est pas nourrie par une vie spirituelle riche sera vite contaminée par notre égo, la soif de pouvoir, d’approbation, une fausse idée du succès et le faux sentiment qu’on ne peut pas échouer. Quand nous travaillons pour Dieu avec ces motivations, l’Évangile perd sa place centrale. Nous devenons des « faire humains » plutôt que des « êtres humains ». Nous ne trouvons plus notre valeur personnelle dans l’amour inconditionnel de Dieu, mais dans nos accomplissements personnels. La joie de Christ disparait petit à petit en nous.
Notre travail pour Dieu doit découler d’une vie en Dieu. Nous ne pouvons pas donner ce que nous n’avons pas.
- Spiritualiser les conflits
Personne n’aime les conflits. Pourtant, il y en a partout – dans les tribunaux, nos lieux de travail, nos salles de classe, nos quartiers, nos amitiés, nos mariages et nos familles. Or, un mythe encore très présent dans l’église et particulièrement destructeur nous pousse à croire que pour faire comme Jésus, il faut aplanir les désaccords ou faire l’autruche. Par conséquent, églises ou groupes de maison continuent d’expérimenter la souffrance de conflits non réglés.
Très peu d’entre nous viennent de familles où les conflits sont gérés de manière saine et adulte. Le plus souvent, on nie les tensions pour avancer.
Jésus nous montre que les chrétiens n’ont pas à éviter le conflit. Sa vie en était remplie ! Il était régulièrement en conflit avec les leaders religieux, la foule, les disciples et même avec sa propre famille. Par désir de donner la vraie paix, Jésus est venu perturber la fausse paix qui régnait autour de lui. Il a refusé de fuir le conflit en le « spiritualisant ».
- Cacher nos faiblesses, nos blessures et nos échecs
Nombreux sont ceux qui ressentent la pression de devoir donner l’image de quelqu’un de fort et de spirituellement « équilibré ». Nous nous sentons coupables de ne pas y arriver, de trébucher.
Nous oublions que personne n’est parfait et que nous sommes tous pécheurs.
La Bible ne cache pas les défauts et les faiblesses de ses héros. Abraham a menti. La femme d’Osée était une prostituée. Pierre a réprimandé Dieu ! Noé s’est soulé. Jonas était raciste et Jacob menteur. Élie s’est découragé et Jérémie était dépressif et suicidaire. Thomas a douté. Moïse avait mauvais caractère. Timothée avait des ulcères.
Ils renvoient tous le même message : tout être humain sur terre est faible, vulnérable et dépendant de Dieu et des autres et ce, quels que soient ses dons et ses forces.
- Se penser sans limites
Il s’agit ici de parler de nos limites et de notre humanité. Nous ne sommes pas Dieu. Nous ne pouvons pas aider tout le monde. Nous sommes humains.
Jésus en a été l’exemple quand il était sur terre – pleinement Dieu et pourtant pleinement humain. Il n’a pas guéri tous les malades de Palestine, ni ressuscité tous les morts. Il n’a pas nourri tous les mendiants, ni monté un centre de lutte contre le chômage pour les pauvres de Jérusalem.
Il ne l’a pas fait, et on ne devrait pas non plus penser que c’est ce que nous devons faire. Pourtant parfois, c’est ce que nous croyons. Pourquoi ne prenons-nous pas soin de nous-mêmes correctement ? Pourquoi tant de chrétiens se retrouvent-ils stressés, épuisés et surchargés comme dans le reste de la société ?
Peu de chrétiens font le lien entre l’amour pour soi et l’amour pour les autres. Malheureusement, beaucoup croient que prendre soin de soi est un péché, une « psychologisation » de l’Évangile venue de notre culture égocentrique. C’est ce que j’ai moi-même cru pendant des années.
Il est vrai que nous sommes invités à voir l’autre comme plus important que nous-mêmes (voir Philippiens 2.4). Nous sommes appelés à donner nos vies pour les autres (voir 1 Jean 3.16). Mais il faut d’abord avoir quelque chose à donner.
Comme l’a dit Parker Palmer : « S’occuper de soi n’est jamais un acte égoïste – c’est simplement une bonne gestion du seul don que nous avons, ce don pour lequel j’ai été placé sur terre, dans le but de l’offrir aux autres. Chaque fois que nous nous écoutons et que nous apportons les soins nécessaires, nous le faisons non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour tous ceux dont nous touchons les vies. »
- Juger le cheminement spirituel des autres
On m’a dit qu’il fallait que je corrige ceux qui étaient dans l’erreur ou qui péchaient, et que, dès que quelqu’un était confus spirituellement, il fallait que je le conseille. Par conséquent, je me sentais coupable si je voyais quelque chose de douteux sans le pointer du doigt. Et je me sentais encore plus coupable quand j’étais censé résoudre le problème de quelqu’un sans savoir comment faire ni quoi dire.
Bien sûr, pour beaucoup d’entre nous, cela ne pose aucun problème de donner des conseils ou de pointer ce qui ne va pas chez les autres. Nous y passons parfois tellement de temps que nous finissons par nous tromper nous-mêmes, pensant que nous avons énormément à donner et donc peu à recevoir des autres. Après tout, nous sommes ceux qui ont raison, pas vrai ? Cela nous rend incapables de recevoir des conseils de la part de personnes « ordinaires » ou « moins avancées » que nous. Nous n’acceptons que les conseils des « experts » ou des « professionnels ».
Comme l’a dit Jésus, si je n’enlève pas la poutre qui est dans mon œil, je reste aveuglé et dangereux pour les autres. Je dois d’abord voir les dégâts faits par le péché dans tous les domaines de ma vie – émotionnel, intellectuel, corporel et spirituel – avant d’essayer d’enlever la paille de l’œil de mon frère (voir Matthieu 7.1-5).
Peter Scazzero est pasteur à Queens, dans la ville de New York. Il est aussi auteur des livres à succès Les chemins d’une spiritualité émotionnellement saine et Je souffre, écoute-moi ! : pour une Église à l’écoute des émotions.
© 2016 par Peter Scazzero. Tous droits réservés. Utilisation autorisée.
[1] 2 Corinthiens 5.17
[2] Dans son livre The Scandal of the Evangelical Conscience [Le scandale de la conscience évangélique]